Le blocus
Mes larmes sont bleues
tant j'ai regardé le ciel et pleuré
Mes larmes sont jaunes
tant j'ai rêvé des épis d'or
et pleuré
Que les chefs partent à la guerre
les amants aux forêts
les savants aux laboratoires
Quant à moi
je vais chercher un chapelet et une chaise
ancienne
pour redevenir tel que j'étais
vieux chambellan à la porte de la tristesse
puisque tous les livres, les constitutions et les
religions
assurent que je ne mourrai
qu'affamé ou prisonnier.
*
O touriste !
Mon enfance est lointaine, ma vieillesse aussi
Mon pays est lointain, mon exil aussi
O touriste
donne-moi tes jumelles
que je puisse voir si une main ou un mouchoir
me fait signe en ce monde
Prends-moi en photo pendant que je pleure
accroupi dans mes hardes devant l'hôtel
et écris au dos de la photo :
voilà un poète d'Orient
Étale ton mouchoir blanc sur le trottoir
et assieds-toi près de moi sous cette pluie douce
Je vais te révéler un grave secret
Congédie tes indicateurs et tes guides
jette dans la boue, au feu
toutes les notes et impressions que tu as écrites
N'importe quel vieux paysan
te racontera en deux vers de ''Ataba''
toute l'histoire de l'Orient
en roulant une cigarette devant sa tente.
La joie n'est pas mon métier
(traduit du syrien par Abdellatif Laâbi,
Orphée La Différence 1992)