Seuil
En ce corps, où tout a un prix,
j’étais un mendiant. À genoux,
j’ai regardé par le trou de la serrure, non pas
l’homme qui se douchait, mais la pluie
qui le traversait : des cordes de guitare se brisant
sur ses épaules galbées.
Il chantait, c’est pourquoi
je m’en souviens. Sa voix :
elle m’a rempli jusqu’à la moelle
comme un squelette. Même mon nom
s’est agenouillé au fond de moi, demandant
d’être épargné.
Il chantait. C’est mon seul souvenir.
Car en ce corps, où tout a un prix,
j’étais vivant. J’ignorais
qu’il existait une meilleure raison.
Qu’un matin, mon père s’arrêterait
(un poulain sombre, immobile sous
l’averse)
pour écouter ma respiration crispée
derrière la porte. J’ignorais que le prix
à payer,
pour entrer dans une chanson, était de perdre
le chemin du retour.
Je suis entré. Et donc j’ai perdu.
J’ai perdu tout, les yeux
grand ouverts.
Ciel de nuit blessé par balles
Mémoire d'encrier 2018