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Immense et minuscule
D'embrasure
en embrasure où neigent l'aube et la capuche
où bleuit le tablier
taché de soupe et de suie
de seuil en seuil, par des portes de plus en plus
petites, tu vas, nue jusqu'à l'âme
immensément peuplée
plus mince qu'un atome
où l'enfant ne fait pas nombre
avec le vieillard, où l'arôme d'un regard
est un monde dans un monde, tous reliés
par un fil de nuit.
Un bleu voyageur
J'ai élu domicile
dans un bleu voyageur
qui n'est pas couleur d'une chose
mais l'espace nu
le parfum des trottoirs après la pluie d’été
entre deux marronniers
la terre, qui recommence.
Comme il me fait trembler, pleurer, chanter
ce bleu doux, presque gris
où la pollution des soirs d'août est un dôme d’or
au-dessus du périphérique
ce gris-bleu, presque feu, qui est le souvenir
des choses futures.
Peu avant l'aube
Trois heures. Le chant d'une chouette
ouvre des gouffres de velours
et je tombe à travers forêt
à travers nuit verte je tombe, sans fin
dans ce qui pousse.
D'un bord à l'autre
Quelle aventure, pensa le petit cheval
sanglotant, se roulant dans l'herbe douce et drue
qui n'avait jamais cessé de pousser
d'un bord de l'univers à l'autre.
Le jeune homme était mort et l'infirmière en pleurs
retirant le harnais du respirateur
observa, près de la poitrine
un brin d'herbe, si vert dans la neige des draps.
Annonciation
Elle serait
comme une page blanche
illuminée d'un verbe
avant qu'il s'écrive.
Et le verbe serait du feu
qui ne brûle pas, de la neige
qui ne fond pas.
Cantique
Je reviens de la gare, il est tard
et c'est Juin qui rayonne et repousse la nuit
et moi, ce moins que rien du tout dans l'infini
je lève un peu les yeux : au feu
au feu, le bleu soir brûle !
Et mes larmes n'éteignent rien
qu'un peu de la distance entre toi et moi.
Confinement
Sois tranquille, ce qui finit
touche à sa fin.
Ce qui est infini
touche la fin de tout, et la transit
de son parfum.
Ce qui est infini flotte ici : maison
toute entière fenêtre.
Éléphants
pour Igor, Mary, Michel
Nous avons toujours su que cet enfant
était trop grand pour nous
dit-elle doucement. Novembre tend l'oreille
oreille veloutée d'éléphant qu'on abat.
Quand elle ajoute il est pour tous
ses mots illuminent la table
grains de sésame, restes
dérisoires, dorés du petit-déjeuner.
J'entre dans l'hôpital, désinfecte mes mains
enlève les chaussures de mon cœur :
Igor n'est que regard.
Tout, les yeux dans les yeux, tout se met à brûler
la froidure, la nuit, les éléphants muets
d'amour et de douleur.
Novembre
Pluie de novembre, chaque
reflet dans les flaques
chuchote
bientôt le ciel
bientôt les feuilles renversées
dans l'amour
bientôt la porte noire
le verrou constellé, bientôt
le petit jour.
D'une photo prise à Idleb, Syrie
Printanière, incompréhensible lumière
baignant l'attentat.
Des gravats blancs, pain dur émietté
sur trois corps d'oisillons humains.
Un olivier, tronc noir et question calcinée.
De deux choses l'une, mon cœur
ou tu maudis le ciel, ce poème, ta vie
ou il y a dans la lumière
des mains transpercées, tellement
qu'en pleurs elles étreignent, toucher
transparent
la noirceur et le bleu, l'ami et l'ennemi.
Art poétique
Le soleil d'ici ne réchauffe pas
il a la jaunisse
a dit l'homme d'un sud lointain
dans le bar un matin d'hiver.
Et rompant le fil indistinct des voix
les mots sont apparus
comme un banc de poissons muets
noms dorés, verbes violets
lumière qui souriait.
Siméon
Avec les années, son sommeil est plus fin
qu’une feuille de papier.
Il devine, à travers la trame
une note argentée, qui devient la voilure
venteuse de la pluie, devient le ciel gris
de mars, au matin.
Presque plus d'épaisseur entre lui
et le monde. Il a vu si souvent
au printemps les pivoines trembler sur leurs tiges
qu'elles sont ses propres os
dont la corolle pousse, invisiblement
dans le monde à venir.
Et voici la pluie qui bat
comme le cœur d’un nouveau-né.
Vite, il faut sortir, suivre l'exil des gouttes
vers le lieu où Dieu se fait pluie
mais chacun de ses pas lui arrache une larme
le poids d'une âme d'homme.
Concert de piano
à Jean-Claude Pennetier, jouant Fauré
J'écoute un vent miraculeux
coudre d'anciennes rues, des murs
dont la couleur me dit mon pays natal
inconnu
et me voici cousue au silence
de la salle, cœur nu sans aucune patrie
que l'écoute
d'un pianiste lui-même écoutant la musique
avec ses doigts.
Quelque part un grand être, lumière et larmes
entend notre vie, la vit avec nous.
Ciel de fin février
Laisse la question
te répondre
à sa manière de ciel
quand vient le soir :
regard qui insiste
vers ton cœur.
Le commencement est plus fort…
Le commencement est plus fort que la fin
murmure tout poème
dans sa brièveté immense
fenêtre illuminante.
Quelques jours avant de mourir, mon père
m’offrit le poème de ses yeux
de sa main, cela seul
qui serait plus fort que sa mort.
Portes
Tant de portes poussées
maisons, écoles
salles des pas perdus
pauvres places
traversées, passées
jusqu’à cette porte en ton corps
couchée
et peut-être quelqu’un
te tiendra la main
pour tourner la dernière
poignée.
Reproche venu du ciel
Dans le hall écaillé, la communauté
s'est réunie pour écouter
une parole de chacun.
Or tandis qu'ils parlaient, la pluie
- plus de gouttes qu'il n'y aura jamais de frères -
s'est abattue sur la verrière.
Comme il pleuvait dru dans les mots !
Qui donc es-tu
pour couper la parole à la pluie ?
Fin de la pluie
Isaïe 40,15
À la fin de la pluie, les gouttes
chantonnent pour elles-mêmes, jettent
des étoiles dans les flaques.
Leur musique d’argent, c’est le cœur
à pas de moineau sur l’eau.
C’est le monde
comme la goutte au bord d’un seau
tant le seau du ciel est sans fond
et la source infinie.
J’ai rêvé d’une lumière…
J’ai rêvé d’une lumière
bras de ciel entre deux immeubles.
Elle avait le bleu dépouillé d’octobre
avec une joie rouge, un acajou secret.
Elle avait, cette lumière
de l’été dans l’hiver.
En elle je partais, en elle j’arrivais.
Elle était maison et chemin.
Tu étais là, bleu-proche
le lointain brûlait entre nous
sans faire mal.
Jésus
Tu as toujours été une nuit parmi nous
pour cette étoile du berger
que nous surprenons, innocente
en nous-mêmes
et pour l’obscurité limpide
où chacun apparaît
tandis que dans le noir, toi
tu te laisses oublier !
Commencements qui n'ont pas de fin
Toujours un peu au bord de l'extinction
drôle de poète
aux ongles rongés !
Mais c'est cela qui est beau :
que les yeux brûlants qui l'aiment
en silence depuis l'enfance, continuent
de chercher son regard.
Le bruit de la pluie…
Le bruit de la pluie
la nuit sur le toit, pourquoi
n’est-ce pas du bruit ?
C’est plutôt du silence
qui ruisselle
sur le silence des tuiles
et ainsi, bien que seul
tu n’es pas seul.
L’enfant sage
À l’orée d’or des nuits
certains ciels, d’un certain bleu
sont entrés en moi
et ont grandi, grandi
si bien que je n’ai pas besoin de vieillir
pour comprendre la mort.
Août
Le soir a laissé la lumière allumée
comme s'il attendait quelqu'un.
Sa maison est sans murs, d'une seule fenêtre
doucement éclairée.
Le long des talus endormis
l'œil de cyclope des éoliennes
scintille, sans regard.